
BITCOIN ET LA LOI DE GRESHAM
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LA MAUVAISE MONNAIE CHASSE-T-ELLE TOUJOURS LA BONNE ?
Depuis des siècles, la loi de Gresham intrigue économistes et passionnés de monnaie. Formulée au XVIᵉ siècle par l’homme d’affaires et financier Thomas Gresham, elle décrit un mécanisme simple mais implacable : lorsque deux monnaies ayant la même valeur légale coexistent, celle qui est perçue comme de moindre qualité ou plus sujette à la dévaluation sera préférée pour les paiements, tandis que la monnaie jugée plus précieuse sera thésaurisée. Résultat, la mauvaise monnaie envahit l’économie réelle, et la bonne disparaît des échanges. Ce principe a marqué l’histoire monétaire de nombreux pays, notamment au moment des débasements répétés des pièces de métal précieux ou des périodes d’hyperinflation.
LA LOI DE GRESHAM À TRAVERS L’HISTOIRE
Dans l’Empire romain, sous le règne de certains empereurs, la teneur en argent des pièces diminuait au fil du temps pour financer des guerres ou des projets colossaux. Cette dévaluation progressive a provoqué une perte de confiance et un effondrement du système monétaire. Plus récemment, au XXᵉ siècle, l’hyperinflation au Zimbabwe ou en Allemagne de Weimar a montré la mécanique de la loi de Gresham à l’échelle d’un État : la monnaie nationale perdait sa valeur chaque jour, les citoyens dépensaient leurs billets aussi vite que possible, tandis qu’ils cherchaient à conserver toute forme de valeur plus stable, comme l’or ou les devises étrangères. Ces épisodes rappellent que la valeur d’une monnaie dépend moins de la volonté des gouvernements que de la confiance collective qu’elle inspire. Quand la confiance disparaît, la fuite vers une meilleure réserve de valeur devient inévitable.
BITCOIN, UNE NOUVELLE « BONNE MONNAIE »
Bitcoin, avec son offre limitée à 21 millions d’unités et son protocole immuable, apporte une rupture profonde. Contrairement aux monnaies fiduciaires qui peuvent être imprimées à l’infini, Bitcoin promet une rareté absolue, gravée dans le code. Cette caractéristique en fait une « bonne monnaie » selon de nombreux économistes contemporains. Le comportement de nombreux détenteurs de BTC, qui choisissent de le conserver plutôt que de le dépenser, illustre ce que certains appellent le « paradoxe du Bitcoin » : alors qu’il a été pensé comme un système de paiement, il devient surtout une réserve de valeur. Les bitcoins quittent les plateformes d’échange pour être placés sur des portefeuilles hors ligne, renforçant cette dynamique. Ce comportement est souvent critiqué par ceux qui voient dans Bitcoin un outil de spéculation plus qu’une monnaie d’échange. Mais il peut aussi être interprété comme un signe de confiance : lorsque les individus estiment qu’une monnaie sera plus précieuse demain qu’aujourd’hui, ils préfèrent la conserver.
VERS UNE INVERSATION DE LA LOI DE GRESHAM ?
Si Bitcoin continue de gagner en adoption, pourrait-il un jour inverser la loi de Gresham ? Dans ce scénario, la « bonne monnaie » chasserait la « mauvaise » : les individus délaisseraient progressivement les devises étatiques en perte de valeur au profit d’un actif dont l’émission est connue et prévisible. Cette perspective reste incertaine, mais elle attire de plus en plus l’attention alors que la défiance envers les banques centrales et leurs politiques monétaires s’accroît partout dans le monde. Dans certains pays touchés par des crises monétaires, Bitcoin n’est plus seulement un actif spéculatif mais un véritable outil de survie économique. En Argentine, par exemple, face à une inflation de plus de 200 % sur un an, beaucoup choisissent Bitcoin pour protéger leur épargne. Cette utilisation renforce l’idée qu’une monnaie saine peut s’imposer naturellement, même sans autorité centrale, simplement par la confiance qu’elle inspire.
RÉÉCRIRE LES RÈGLES DU JEU MONÉTAIRE
La loi de Gresham, telle qu’elle s’appliquait depuis des siècles, reposait sur la coercition étatique : l’obligation d’accepter la mauvaise monnaie au même titre que la bonne. Bitcoin, en tant que monnaie décentralisée, échappe à cette logique et donne aux individus un choix qu’ils n’avaient pas auparavant. Cela ouvre une possibilité inédite : celle de voir la bonne monnaie redevenir un standard, non pas par décret mais par adoption volontaire. Réfléchir à la loi de Gresham à l’ère de Bitcoin, c’est repenser la nature même de la monnaie, la confiance collective qui lui donne de la valeur, et le rôle des individus dans la préservation de leur pouvoir d’achat. Dans un monde où l’impression monétaire est devenue la norme, Bitcoin offre une alternative crédible pour ceux qui veulent se protéger contre la dévaluation continue des monnaies fiat. En fin de compte, la loi de Gresham appliquée à Bitcoin n’est pas un simple chapitre d’histoire monétaire, mais une invitation à comprendre pourquoi la rareté, la confiance et la liberté de choisir sa monnaie sont au cœur des enjeux économiques d’aujourd’hui. Et peut-être la clé pour un futur où la bonne monnaie ne sera plus chassée, mais victorieuse.