
SEUL BITCOIN EST INCORRUPTIBLE
Share
Il y a quelque chose de fascinant dans cette époque où tout ce qui brille est aussitôt sacralisé. Il suffit d’un feu vert administratif, d’un sigle en capitales ou d’une ligne verte sur un graphique pour que la machine médiatique s’emballe et proclame un nouveau chapitre de l’histoire financière. C’est exactement ce qui s’est produit ces dernières semaines, lorsque les régulateurs américains ont validé l’ETF spot Ethereum. Une décision attendue, spéculée, anticipée, puis enfin officialisée. Et aussitôt, les discours ont jailli, comme sortis d’un moule : Ethereum est maintenant l’égal de Bitcoin. L’alternative crédible. Le second trône d’un système numérique bicéphale. Certains analystes ont même parlé d’un « moment historique », comme si Ethereum venait de rejoindre le panthéon des actifs monétaires, à égalité avec le roi Bitcoin. Mais derrière l’excitation feutrée des plateaux de télévision et les tweets triomphants des influenceurs crypto, une question essentielle a été évacuée : sur quoi repose cette prétendue égalité ?
Un ETF spot, en réalité, n’est qu’un véhicule financier. Un miroir. Un outil destiné à refléter le prix d’un actif sous-jacent sur un marché traditionnel. Il ne dit rien de la nature profonde de cet actif. Il ne valide pas son code, sa gouvernance, sa philosophie. Il ne garantit ni sa neutralité, ni sa résilience, ni sa souveraineté. L’ETF Ethereum, comme l’ETF Bitcoin, n’est qu’un pont entre deux mondes. Mais ces deux mondes ne sont pas comparables. L’un est une monnaie apolitique, incorruptible, taillée pour résister à la capture. L’autre est une plateforme programmable, soumise à des ajustements humains, à des décisions centralisées, à une logique évolutive. C’est là que la confusion devient dangereuse. Car à force de parler d’Ethereum comme du petit frère de Bitcoin, ou de présenter les deux actifs comme des piliers équivalents de la finance numérique, on oublie que leur nature même est radicalement différente.
Bitcoin est né d’un rejet. Un rejet du système bancaire, du contrôle monétaire étatique, de la création arbitraire de monnaie. Il est l’héritier direct d’un combat cypherpunk pour la souveraineté individuelle. Il a été conçu comme un bastion. Un système volontairement rigide, fondé sur des règles simples, vérifiables, non négociables. L’offre de Bitcoin est fixée à 21 millions d’unités. Aucune autorité ne peut modifier ce chiffre sans déclencher une rupture du consensus. La validation des blocs repose sur une preuve de travail qui exige une dépense réelle d’énergie, rendant toute tentative de manipulation coûteuse et risquée. Le réseau est distribué, sans point central de contrôle. Il n’a pas de PDG, pas de fondation, pas de développeur suprême. Sa force est sa décentralisation, sa lenteur volontaire, sa résistance à l’intervention humaine. Bitcoin est un protocole monétaire conçu pour durer cent ans, sans avoir besoin d’être réinventé.
Ethereum, au contraire, se revendique comme un terrain d’expérimentation. Depuis sa création, il n’a cessé d’évoluer, de bifurquer, de se réformer. Son passage de la preuve de travail à la preuve d’enjeu en est l’illustration parfaite. Là où Bitcoin s’enracine dans une architecture austère, Ethereum embrasse le changement, la flexibilité, la gouvernance technique. Ce n’est pas un défaut en soi. Mais c’est une réalité qu’il faut affronter. Ethereum est gouverné. Il y a des développeurs principaux, une fondation, des décisions prises lors de réunions, des roadmaps, des forks coordonnés, des compromis. C’est une plateforme vivante, certes, mais une plateforme qui repose sur la confiance dans une élite technique. Et cette élite peut, si elle le juge bon, modifier les règles du jeu.
La question de l’offre monétaire est centrale. Depuis la mise à jour EIP-1559 et la transition vers la preuve d’enjeu, l’offre d’Ethereum est devenue dynamique. Parfois légèrement déflationniste, parfois inflationniste. L’émission de nouveaux ETH dépend des frais du réseau, du nombre de validateurs, du contexte économique. Rien n’est figé. Rien n’est garanti. Le fameux hard cap de 21 millions, si fondateur dans Bitcoin, est totalement absent d’Ethereum. Certains diront que ce n’est pas gênant, que la flexibilité est une force. Mais dans une perspective de souveraineté monétaire, c’est une faille. Une porte ouverte à la dilution, à la manipulation, à l’ingénierie sociale. Un actif dont l’offre peut être ajustée par quelques cerveaux brillants ne peut pas prétendre au même statut que celui qui inscrit ses limites dans le marbre du consensus global.
Il y a aussi la question de la censure. Depuis sa transition vers la preuve d’enjeu, Ethereum a vu la majorité de ses blocs validés par des entités conformes aux régulations américaines. Cela signifie que les transactions jugées non conformes aux sanctions de l’OFAC peuvent être retardées, voire ignorées. Bitcoin, avec sa preuve de travail et sa décentralisation minière, reste bien plus résistant à ce type de filtrage. Il peut accueillir toutes les transactions, même celles jugées politiquement sensibles. Il est un espace de liberté brute, indifférent aux frontières, aux lois, aux injonctions. Ethereum, malgré sa puissance technique, a montré qu’il pouvait être aligné sur les exigences des régulateurs. Cela change tout.
Le narratif médiatique actuel repose sur un malentendu. Il confond l’accès institutionnel avec la valeur fondamentale. Le fait qu’Ethereum ait maintenant un ETF spot, tout comme Bitcoin, ne signifie pas qu’il ait atteint le même degré de neutralité, de sécurité ou de rareté. Cela signifie simplement qu’il a été jugé suffisamment stable, liquide et contrôlable pour être transformé en produit financier. Mais c’est justement là que réside le piège. Ce que les institutions aiment, ce n’est pas la résistance, c’est la malléabilité. Ce n’est pas l’indépendance radicale, c’est la compatibilité. Bitcoin leur fait peur, parce qu’il est inamovible. Ethereum, lui, peut être adapté, compris, canalisé. Ce n’est pas une menace, c’est une opportunité. Voilà pourquoi il a été validé.
La différence entre Bitcoin et Ethereum n’est pas une différence de vitesse, de scalabilité ou de fonctionnalités. C’est une différence de nature. L’un est une rupture radicale avec le paradigme financier existant. L’autre est une tentative d’extension de ce paradigme à l’ère numérique. Bitcoin est une monnaie. Ethereum est un outil. Bitcoin est un protocole monétaire neutre, qui ne fait aucune promesse, qui ne cherche pas à plaire, qui ne change pas. Ethereum est un environnement programmable, aux multiples cas d’usage, en constante mutation. Comparer les deux sur le seul critère de l’approbation réglementaire, c’est ignorer leur essence respective. C’est juger un arbre à la hauteur de son feuillage, et non à la profondeur de ses racines.
Dans un monde où les banques centrales impriment sans limite, où les monnaies sont devenues des instruments de contrôle, où la dette est devenue structurelle, il ne suffit pas d’avoir un actif numérique pour prétendre à l’alternative. Il faut un socle. Une garantie. Un protocole qui refuse le compromis. Bitcoin ne fait pas de promesses. Il ne change pas les règles à mi-parcours. Il ne censure pas. Il ne demande pas de permission. Il est brut, froid, incorruptible. C’est ce qui le rend unique. Ce n’est pas un projet qui évolue. C’est un point fixe autour duquel le monde peut s’aligner.
L’ETF Ethereum peut séduire les traders, les gestionnaires d’actifs, les spéculateurs. Il leur offre un produit structuré, facile à manipuler, à intégrer dans leurs portefeuilles. Mais il ne transforme pas Ethereum en actif monétaire souverain. Il ne lui confère pas la neutralité, ni la rareté, ni la résilience. Il ne gomme pas son histoire de forks, de bugs, de décisions centralisées. Il ne supprime pas sa dépendance aux validateurs conformes. Il ne lui donne pas de hard cap. Il ne lui donne pas de bouclier contre la capture.
Ce que nous voyons aujourd’hui, ce n’est pas une égalité. C’est une illusion d’équivalence. Et cette illusion est dangereuse. Car elle détourne l’attention du seul protocole qui puisse réellement offrir une alternative monétaire durable. Bitcoin n’a pas besoin d’ETF pour exister. Il n’a pas besoin de validation institutionnelle pour fonctionner. Il n’a pas besoin de fondateur charismatique, ni de développeurs stars. Il n’a pas besoin de roadmap. Il est déjà complet. Il fonctionne depuis quinze ans. Il n’a jamais été compromis. Il continue, bloc après bloc, à produire un consensus mondial sans leader.
Les partisans d’Ethereum parleront d’innovation, de modularité, de cas d’usage. Ils auront raison, dans une certaine mesure. Ethereum permet des choses fascinantes. Mais vouloir le hisser au rang de Bitcoin, sous prétexte d’un ETF, c’est confondre la surface avec la structure. Ce n’est pas la même finalité. Ce n’est pas le même combat. Ce n’est pas la même promesse.
Bitcoin ne cherche pas à remplacer les banques. Il cherche à les rendre obsolètes. Il ne cherche pas à séduire les États. Il cherche à les contourner. Il ne cherche pas à évoluer. Il cherche à résister. C’est pour cela qu’il dérange. C’est pour cela qu’il est attaqué. Et c’est pour cela qu’il est irremplaçable.
Alors oui, Ethereum a son ETF. Bravo. Mais cela ne change rien au fond. Cela ne lui donne pas de hard cap. Cela ne lui donne pas de neutralité. Cela ne lui donne pas la souveraineté. Le jour où les projecteurs se détourneront, quand les prix chuteront à nouveau, quand les réseaux seront à l’épreuve, il ne restera qu’une seule question : quel actif est vraiment incorruptible ? Le reste n’est que mise en scène.
Ce que Bitcoin propose, ce n’est pas de participer au système. C’est d’en sortir. Ce n’est pas une opportunité d’investissement. C’est une arme pacifique. Une déclaration de souveraineté. Un refuge hors de portée. Et ça, aucun ETF ne peut le reproduire.
👉 À lire aussi :