BITCOIN EST-IL TROP DIFFICILE À EXPLIQUER ?

BITCOIN EST-IL TROP DIFFICILE À EXPLIQUER ?

Bitcoin. Rien que le mot suffit à faire plisser les yeux de certains. D’autres se figent, haussent les épaules ou changent de sujet. Il y a ceux qui font semblant de comprendre, ceux qui n’osent pas poser de questions, et ceux qui affirment avec assurance : « ça n’a aucun sens, c’est trop compliqué ». Ce malaise, cette gêne, cette résistance intellectuelle presque viscérale à Bitcoin ne sont pas anodins. Et quand on tente de l’expliquer, quand on essaie, sincèrement, d’éveiller la curiosité ou de transmettre ce que l’on a compris, on se heurte à un mur. Pourquoi tant de gens décrochent ? Pourquoi cette technologie, qui prétend pourtant être ouverte à tous, semble-t-elle n’être comprise que par une élite réduite, presque une secte d’initiés ? Est-ce une question de vocabulaire ? De mauvaise foi ? De dissonance cognitive ? Ou tout simplement de méthode ?

Il faut bien reconnaître que Bitcoin est un objet étrange. On ne peut pas le toucher. On ne peut pas l’imaginer comme une pièce de monnaie. On ne peut pas l’imprimer. On ne peut pas l’arrêter. Et pourtant, il est là. Il existe. Il se propage. Il façonne des vocations, des fortunes, des convictions. Mais il défie les repères. Il faut désapprendre pour comprendre. C’est déjà là que le bât blesse. Le citoyen moyen ne veut pas désapprendre. Il veut des repères. Il veut que les choses aient un nom familier, une forme rassurante, un cadre connu. Bitcoin ne lui offre rien de tout ça. Bitcoin commence par un doute : et si tout ce qu’on nous a appris sur la monnaie était faux ? Et si l’État n’était pas indispensable à la confiance ? Et si les banques étaient des parasites ? Et si la rareté pouvait exister sans autorité centrale ? Le simple fait de poser ces questions suffit à provoquer une réaction de rejet. Avant même d’entrer dans les détails, Bitcoin offense.

Et quand on tente malgré tout d’expliquer, on emploie des mots maudits. Blockchain. Hash. Proof of Work. Halving. Signature numérique. Clé privée. UTXO. Lightning. Nodes. Mining. Satoshi. Les termes s’enchaînent comme des sorts d’une langue étrangère, hermétique. Même les plus simples, comme « portefeuille », trompent. Un portefeuille qui n’est pas un portefeuille, une monnaie qui n’est pas une monnaie, une transaction qui n’est pas une ligne comptable mais une inclusion dans un bloc signé sur un registre distribué horodaté... Le langage du Bitcoin est un piège. Il repousse ceux qui ne veulent pas s’y plonger, et il piège ceux qui veulent trop bien faire. Car il ne suffit pas de connaître les mots. Il faut comprendre leur logique. Et cette logique est contre-intuitive.

C’est là que le malaise grandit. Car plus on avance dans les explications, plus on se rend compte que Bitcoin est un millefeuille. Ce n’est pas un sujet technique. C’est une philosophie. C’est une révolution. C’est une critique du système. Une insulte faite aux autorités monétaires. Un appel à la souveraineté individuelle. Une remise en cause radicale de l’économie moderne. Et pourtant, c’est aussi un simple protocole. Un logiciel. Un réseau. Un algo. Bitcoin est tout ça à la fois. Et celui qui explique se perd, forcément. Il commence par la base : « c’est une monnaie numérique » puis dérive, glisse, embarque l’autre dans une spirale : « non, en fait c’est un protocole de consensus distribué basé sur une preuve de travail permettant une émission prévisible et une décentralisation des nœuds validateurs ». À ce stade, l’auditeur a déjà lâché. Il entend un geek en transe, il ne voit pas l’enjeu. Il ne comprend plus pourquoi il devrait écouter.

Mais faut-il lui en vouloir ? Le monde dans lequel il vit ne lui a jamais appris à remettre en cause la monnaie. Jamais. On lui a appris à gagner de l’argent. À épargner. À payer ses impôts. À faire un crédit. On ne lui a jamais dit ce qu’était vraiment la monnaie. Ni d’où elle venait. Ni pourquoi elle perdait de la valeur. Il a pris tout cela comme un décor. Un décor figé, intouchable. Et voilà qu’on lui parle d’une monnaie qu’il peut créer lui-même, sécuriser lui-même, détenir lui-même. On lui dit qu’il peut se passer de banques. Qu’il peut envoyer de l’argent sans permission, sans tiers, sans censure. Que le code suffit. Il n’y croit pas. Il pense à une arnaque. Il pense aux tulipes. À un truc de nerds, de traders ou de criminels. Il ferme les oreilles.

Car l’esprit humain a des défenses. Il rejette ce qui le force à remettre en cause sa base. Et Bitcoin n’est pas une nouvelle couche. C’est un nouveau sol. Il ne s’additionne pas. Il remplace. Il exige une réinitialisation mentale. Et c’est dur. Très dur. C’est là que la pédagogie classique échoue. Les métaphores bancaires, les comparaisons avec PayPal ou l’or numérique n’aident pas. Elles simplifient en trahissant. Elles réduisent un monde à une image familière, mais fausse. Et dès que l’auditeur sent qu’on lui ment, même par simplification, il rejette tout. Le paradoxe, c’est que plus on simplifie, plus on trahit l’essence. Et plus on complexifie, plus on perd l’autre. Il n’y a pas de bon angle. Il n’y a pas de raccourci. La seule voie, c’est la lenteur. L’imprégnation. Le doute. Il faut que l’autre veuille comprendre. Il faut qu’il cherche. Sinon, il ne trouvera rien.

Alors on peut accuser le jargon. C’est vrai, Bitcoin a un vocabulaire abscons, souvent inutilement technique. Mais ce n’est pas le vrai problème. On peut accuser le manque de curiosité du public. C’est vrai aussi, beaucoup ne veulent pas comprendre. Mais ce n’est pas une faute, c’est une protection. On peut accuser l’élitisme volontaire de certains maximalistes, qui cultivent le culte de la difficulté. Mais même les plus pédagogues échouent. Même les plus doux, les plus simples, les plus patients. Car le vrai obstacle est ailleurs. Le vrai obstacle, c’est la révolution mentale que Bitcoin impose. C’est ce qu’il demande à chacun : redevenir responsable. De son argent. De son temps. De sa sécurité. De ses choix. Bitcoin n’est pas une technologie à consommer. C’est un miroir. Il dit à chacun : tu peux être libre, mais tu dois le vouloir. Et beaucoup préfèrent ne pas l’être. Ou pas encore.

Alors faut-il une pédagogie radicalement nouvelle ? Sans doute. Une pédagogie qui ne commence pas par des mots, mais par des sensations. Par une histoire. Par un bug. Par un échec. Par une prise de conscience. Il faut que la personne vive quelque chose. Une censure bancaire. Une confiscation. Une hyperinflation. Un blocage de compte. Une peur. Un soupçon. C’est là que Bitcoin peut entrer. Pas avant. Car tant que le monde fonctionne, même mal, on ne veut pas de plan B. On reste dans le bateau, même s’il prend l’eau. Il faut que l’eau monte aux genoux pour que le canot devienne séduisant. Et Bitcoin, c’est le canot. L’arche. Mais il ne faut pas dire cela. Il faut le faire ressentir.

Les meilleurs pédagogues de Bitcoin ne sont pas les professeurs. Ce sont les vivants. Ceux qui racontent. Ceux qui disent : j’ai été bloqué par ma banque. J’ai voulu envoyer de l’argent à ma famille, et ils m’ont dit non. J’ai vu ma monnaie perdre 90 % de sa valeur en un an. J’ai miné chez moi pour reprendre le pouvoir. J’ai lu le white paper et j’ai pleuré. Ce sont ces récits-là qui touchent. Car Bitcoin n’est pas un logiciel. C’est une cicatrice. Une réponse à une violence que beaucoup ne voient pas encore.

Est-ce trop difficile à expliquer ? Oui. Parce que ce n’est pas un sujet d’explication. C’est un sujet d’expérience. On n’entre pas dans Bitcoin par la tête. On y entre par le doute. Par le besoin. Par la douleur parfois. Et ensuite, on revient vers la tête. On apprend. On creuse. On lit. On écoute. On devient obsédé. Mais le point d’entrée n’est jamais technique. Il est toujours existentiel. C’est pourquoi tant de gens décrochent. Parce qu’ils n’ont pas encore été touchés. Pas encore assez blessés pour chercher une autre voie. Et tant mieux pour eux. Tant pis pour nous. Car expliquer Bitcoin, ce n’est pas enseigner un concept. C’est attendre qu’un autre soit prêt à recevoir une bombe. Et la plupart du temps, il ne l’est pas.

On peut continuer à essayer. À simplifier. À vulgariser. Mais il faudra l’accepter : Bitcoin ne se comprend pas. Il se vit. Il s’éprouve. Il change tout. Et ce genre de choses ne se transmet pas comme une recette de cuisine. Ça se plante dans l’esprit, comme une graine. Et ça pousse lentement, très lentement, dans le silence, dans le doute, dans le conflit intérieur. Et un jour, sans prévenir, la graine germe. La personne revient. Elle dit : « au fait, tu peux m’expliquer encore ? » Et là seulement, il est temps de parler.

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