BITCOIN : LA FIN DES CYCLES ?

BITCOIN : LA FIN DES CYCLES ?

On a souvent présenté Bitcoin comme une horloge. Une horloge étrange, dont les aiguilles ne tournent pas autour d’un cadran mais avancent bloc après bloc, gravant dans le temps un rythme que personne ne peut arrêter. Tous les 210 000 blocs, la récompense des mineurs est divisée par deux. C’est une mécanique froide, implacable, inscrite au cœur du protocole. Elle ne se discute pas, elle ne se négocie pas. Elle tombe comme une saison. Et autour de cette saison, depuis quinze ans, s’est bâtie une mythologie que les bitcoiners connaissent par cœur : après chaque halving, le marché s’emballe, le prix explose, puis vient la gueule de bois. Bull market, bear market, puis renaissance. Comme si Bitcoin respirait à ce rythme, comme si l’actif le plus imprévisible du monde était en réalité prévisible.

Mais cette question revient aujourd’hui avec insistance : est-ce que ce modèle est encore valable ? Est-ce que Bitcoin, devenu un jouet d’institutionnels, un actif coté en bourse via des ETF, un outil de réserve pour des entreprises milliardaires, va encore suivre cette respiration halving → bull → bear ? Ou est-ce que l’entrée des nouveaux joueurs a cassé le cycle ?

Il faut repartir du début pour comprendre la force de cette cyclicité. En 2012, premier halving : le Bitcoin passe de 50 à 25 BTC par bloc. Les mineurs crient à la catastrophe, mais l’effet inverse se produit. L’offre qui se raréfie pousse le prix à la hausse. Fin 2013, on frôle les 1000 dollars. Puis le marché s’effondre de 80 %, laissant une génération d’investisseurs exsangues mais aussi convaincus qu’ils ont vu une promesse. En 2016, deuxième halving : de 25 à 12,5 BTC. Nouvelle ascension, nouvelle euphorie, 20 000 dollars en décembre 2017, nouvelle chute de 80 %. Puis le scénario se répète après le halving de 2020 : 69 000 dollars en 2021, effondrement en 2022, avant la résurrection. À chaque fois, le même ballet. Ceux qui découvrent Bitcoin pensent à une bulle spéculative. Ceux qui l’ont déjà vécu sourient : c’est le cycle, simplement le cycle.

Cette régularité a créé une confiance étrange. Dans un monde financier dominé par l’incertitude, Bitcoin semblait presque mécanique. Tu n’avais pas besoin de prophète, il suffisait d’attendre. Accumule quand tout le monde fuit, attends le halving, laisse la rareté faire son œuvre, et la récompense viendra. La douleur aussi, mais toujours suivie d’un renouveau.

Sauf que ce qui se joue aujourd’hui n’a rien à voir avec les premiers cycles. Parce que ce ne sont plus seulement des geeks, des cypherpunks et quelques traders isolés qui font le marché. Ce sont des mastodontes institutionnels. Michael Saylor, par exemple, qui achète par milliers de BTC sans intention de vendre demain. Metaplanet au Japon, qui en a fait une stratégie d’entreprise. Les ETF américains, qui canalisent l’épargne de fonds de pension entiers vers le protocole. Les banques elles-mêmes, qui proposent désormais des services de garde. Le jeu a changé.

Et c’est là que l’énigme apparaît : est-ce que ces nouveaux acteurs vont reproduire le vieux schéma bull/bear, ou est-ce qu’ils vont le casser ?

On peut imaginer un premier scénario : rien ne change. Le halving reste le métronome. Les institutionnels, malgré leur puissance, ne peuvent pas contrer les lois de l’offre et de la demande. La récompense diminue, la rareté s’accentue, les prix montent, l’euphorie se déclenche, puis vient l’effondrement quand tout le monde prend ses profits. Les cycles continuent, peut-être avec des amplitudes un peu différentes, mais la musique reste la même.

Un deuxième scénario est plus subtil : les cycles s’étirent. Les institutions, en accumulant massivement et sans vendre, créent une pression acheteuse plus constante. Du coup, les bull markets durent plus longtemps, moins explosifs peut-être, mais plus soutenus. Les bear markets, eux, sont moins violents, car ces acteurs ne bradent pas leurs positions à -80 %. On entre alors dans une logique où Bitcoin monte toujours, mais par vagues moins abruptes. Ce n’est plus la respiration haletante de la jeunesse, c’est une croissance plus adulte, plus disciplinée.

Enfin, il y a le troisième scénario : une rupture complète. Bitcoin cesse d’être gouverné par ses cycles internes et devient avant tout un actif macroéconomique. Son prix réagit davantage aux taux d’intérêt de la Fed, aux liquidités mondiales, à la géopolitique, qu’à la division des récompenses. Le halving devient presque un folklore, un rituel symbolique, mais sans incidence réelle sur le prix. Dans ce monde-là, Bitcoin n’est plus un phénomène autonome : il est pleinement intégré au système.

Alors, où en est-on vraiment ? Difficile de trancher. Ce qui est sûr, c’est que la présence des institutions modifie la psychologie collective. Avant, tout le monde avait en tête le graphique des cycles. Aujourd’hui, de plus en plus d’acteurs pensent long terme, 10 ou 20 ans. Ils ne cherchent pas à timer le marché, mais à construire des réserves. Pourtant, les particuliers, eux, continuent de vivre avec la mémoire des anciens cycles. Ils guettent les mêmes signaux, ils attendent les mêmes explosions, ils redoutent les mêmes chutes. En d’autres termes, la cyclicité est devenue autant culturelle que mathématique.

C’est là la beauté du paradoxe. Même si les institutions changent la donne, même si la liquidité globale devient le facteur clé, des millions d’investisseurs continuent d’agir comme si le cycle était une prophétie. Ils achètent quand vient le halving, ils vendent quand tout le monde hurle que le sommet est atteint. Et leurs comportements collectifs recréent le cycle, même si, en théorie, il pourrait disparaître.

Alors, est-ce que Bitcoin respecte encore ses cycles ? Pour l’instant, oui. La logique reste visible, même si elle est de plus en plus brouillée. Mais est-ce que ce sera encore le cas dans dix ans ? C’est moins certain. Peut-être que nous vivons le dernier grand cycle, celui qui marquera la bascule. Ou peut-être que Bitcoin, fidèle à son ironie, nous jouera encore la même pièce, avec les mêmes rebondissements, juste pour rappeler que malgré toutes les théories, il reste le maître du jeu.

Et c’est sans doute ça le vrai enseignement : Bitcoin n’est pas une horloge, c’est un miroir. Il reflète la rareté mathématique qu’il incarne, mais aussi les obsessions, les croyances et les peurs de ceux qui y participent. Le halving n’est pas seulement une mécanique technique, c’est une histoire racontée et répétée, qui influence autant qu’elle décrit. Tant qu’il y aura des gens pour croire aux cycles, tant qu’il y aura des mains faibles pour paniquer et des mains fortes pour accumuler, le cycle renaîtra. Et quand cette croyance disparaîtra, alors Bitcoin nous surprendra encore, en inventant une autre logique, peut-être plus brutale, peut-être plus douce. Mais jamais prévisible.

Parce qu’au fond, Bitcoin n’est pas fait pour respecter nos schémas. Il est fait pour les briser.

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