
ET SI BITCOIN ÉTAIT UN PROJET GOUVERNEMENTAL SECRET
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En octobre 2008, un document de neuf pages apparaît sur une obscure mailing-list de cryptographes. Signé par un pseudonyme inconnu, Satoshi Nakamoto, il décrit un système de monnaie électronique de pair à pair qui permet à deux individus de s’échanger de la valeur sans passer par une autorité centrale. Quelques mois plus tard, en janvier 2009, le premier bloc est miné et le réseau Bitcoin prend vie. L’histoire officielle s’arrête là. Un génie solitaire, ou peut-être un petit groupe, aurait conçu dans l’ombre le système monétaire le plus révolutionnaire de l’époque moderne, puis disparu dans le silence. Mais et si ce récit n’était qu’un voile commode, une fable pour masquer la véritable origine de Bitcoin. Et si, loin du mythe du cypherpunk rebelle, Bitcoin avait été conçu par une agence gouvernementale américaine dans le plus grand secret. Une théorie troublante, mais qui mérite d’être explorée, car certaines coïncidences sont trop parfaites pour être ignorées.
Pour comprendre cette hypothèse, il faut revenir au climat du début des années 2000. L’Amérique sort traumatisée des attentats du 11 septembre 2001, la machine de sécurité nationale se renforce, la surveillance de masse devient une priorité. La NSA, la CIA et le Pentagone obtiennent des moyens considérables. En parallèle, l’économie mondiale repose sur un système monétaire dont les failles deviennent béantes. La bulle Internet éclate en 2000, révélant la fragilité des marchés. En 2007, la crise des subprimes s’amorce, culminant avec la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 et plongeant la planète entière dans une récession sans précédent depuis 1929. Le système financier basé sur la confiance dans les banques et les États vacille. C’est précisément dans ce contexte qu’apparaît Bitcoin. Un timing trop parfait, diront certains, pour être une simple coïncidence.
La question de la sophistication technique se pose. Le protocole Bitcoin repose sur plusieurs innovations combinées avec une élégance déconcertante. Le système de preuve de travail, l’usage de la chaîne de blocs, la difficulté ajustable, le halving, tout s’emboîte comme une mécanique d’horloger. Pourtant, chacun de ces éléments existait déjà sous une forme isolée dans la littérature académique ou les projets de monnaie électronique des années 90. Mais aucun n’avait su trouver la formule magique. Satoshi, lui, combine le tout avec une simplicité qui frise le génie. Or, un tel saut qualitatif demande soit un individu d’un talent rarissime, soit une équipe pluridisciplinaire disposant de ressources considérables. Et c’est là que certains soupçonnent une origine gouvernementale.
Un indice majeur se trouve dans la cryptographie utilisée. Bitcoin repose sur l’algorithme de hachage SHA-256, conçu par la NSA et publié par le NIST en 2001 comme successeur du SHA-1. La plupart des cypherpunks, méfiants à l’égard de la NSA, évitaient généralement de se baser sur des algorithmes qu’elle avait développés, craignant l’existence de portes dérobées. Pourtant, Satoshi choisit SHA-256 comme pierre angulaire de Bitcoin. Était-ce par pragmatisme, car l’algorithme était solide et reconnu. Ou bien parce que ses concepteurs savaient déjà que cet outil avait été taillé pour résister à long terme. Certains voient là un clin d’œil ironique, voire une signature implicite. Après tout, qui connaît mieux que la NSA la robustesse de son propre algorithme.
Ce choix n’est pas isolé. La structure même du white paper, sa concision chirurgicale, son style quasi académique mais dépourvu de jargon inutile, ressemble davantage à une note technique gouvernementale qu’à un manifeste hacker. Pas d’appel à la rébellion, pas de lyrisme libertaire, simplement une description méthodique du fonctionnement du protocole, comme un rapport destiné à convaincre des décideurs plutôt qu’à enflammer des activistes. Comparons cela aux manifestes cypherpunks des années 90, pleins de rhétorique libertaire et de provocations politiques. Le contraste est saisissant. Satoshi écrit comme quelqu’un qui connaît parfaitement les standards de documentation interne d’un programme de recherche, pas comme un militant.
Une autre coïncidence frappante réside dans le moment du lancement. Le bloc Genesis, miné le 3 janvier 2009, contient ce message gravé à jamais : « The Times 03/Jan/2009 Chancellor on brink of second bailout for banks. » À première vue, un clin d’œil libertaire dénonçant les dérives du système financier. Mais ce message peut aussi être lu comme un marqueur temporel, une preuve d’antériorité volontairement laissée, comme on scelle un document confidentiel par une référence historique. Si Bitcoin était un projet gouvernemental, cette inscription fonctionnerait comme un tampon de date certifiant l’origine de l’expérience. L’interprétation est ouverte, mais l’ambiguïté est là.
Les sceptiques de cette théorie rappellent que des génies isolés ont souvent bouleversé le monde. Newton inventant le calcul infinitésimal, Einstein révolutionnant la physique, Alan Turing posant les bases de l’informatique moderne. Pourquoi pas un cypherpunk inconnu, doué et obsessionnel, accouchant de Bitcoin dans sa cave. L’argument tient, mais il ignore une réalité. Aucun de ces génies n’a effacé toute trace de son existence avec une telle perfection. Satoshi n’a jamais laissé fuiter une information vérifiable, ni son âge, ni son origine, ni ses habitudes. Même les horaires supposés de ses mails et posts, qui semblaient indiquer une activité en fuseau britannique, pourraient avoir été fabriqués. Effacer ainsi son identité dans un monde hyperconnecté relève d’un savoir-faire opérationnel digne des services de renseignement. Les cypherpunks des années 90 étaient brillants mais bavards. Ils laissaient toujours des traces, des polémiques, des egos. Satoshi, lui, est une ombre. Trop parfaite pour être crédible.
On pourrait alors imaginer que Bitcoin est né comme un projet classifié, testé dans le monde réel pour observer les réactions. Les États-Unis, maîtres du dollar, auraient eu intérêt à simuler l’émergence d’une monnaie numérique incontrôlable pour mesurer l’impact sur les marchés, sur les banques centrales, sur les citoyens. Une sorte de crash test à l’échelle planétaire. Si tel est le cas, le test a largement dépassé son cadre. En 2025, Bitcoin pèse plusieurs centaines de milliards de dollars, alimente un écosystème tentaculaire et échappe à tout contrôle centralisé. Une créature qui a échappé à son créateur, comme un Frankenstein monétaire.
Une autre hypothèse est celle du cheval de Troie psychologique. En lançant Bitcoin, les gouvernements auraient familiarisé les populations avec l’idée de monnaie numérique dématérialisée, afin de préparer le terrain aux monnaies numériques de banques centrales, les CBDC. Les citoyens, séduits par la promesse de liberté de Bitcoin, accepteraient ensuite plus facilement une version étatique centralisée, croyant prolonger la même logique. Une manipulation par anticipation. Dans ce scénario, Bitcoin n’aurait jamais été censé devenir dominant, simplement habituer les masses à penser en numérique. Mais l’ironie est cruelle. Plutôt que de faciliter l’acceptation d’une monnaie étatique, Bitcoin a radicalisé une génération entière de dissidents financiers qui refusent toute forme de contrôle monétaire centralisé.
Pour étayer cette théorie, certains soulignent que l’informatique décentralisée faisait déjà l’objet de recherches gouvernementales dès les années 90. La DARPA finançait des projets sur les réseaux résistants aux attaques, héritage direct d’Arpanet. La NSA s’intéressait aux systèmes cryptographiques distribués. Dans les années 2000, les think tanks stratégiques discutaient déjà de la menace que représenterait un système financier hors de contrôle. Le rapport « The Future of Money » publié en 2001 par la Rand Corporation mentionnait la possibilité de monnaies numériques privées et leurs implications géopolitiques. Tout cela dessine un arrière-plan où l’idée d’un proto-Bitcoin aurait très bien pu mûrir dans les cercles étatiques avant d’être lâché dans la nature.
Pour autant, cette thèse rencontre son paradoxe fondamental. Pourquoi un gouvernement créerait-il un système conçu précisément pour échapper à tout contrôle gouvernemental. À moins d’une erreur stratégique colossale, l’hypothèse semble contre-intuitive. Un État cherche le pouvoir, pas son érosion. La seule manière de concilier cela est d’imaginer que les concepteurs n’ont pas prévu la viralité du projet, pensant que Bitcoin resterait un jouet de geeks. Ou bien que l’intention initiale n’était pas d’offrir une liberté monétaire totale, mais de construire une expérimentation technologique sous fausse bannière, dont les dérives ont dépassé le plan.
Ce paradoxe est ce qui nourrit encore aujourd’hui les spéculations. Car, au fond, il existe deux explications possibles. Soit Bitcoin est réellement l’œuvre d’un génie anonyme, dont le silence est la plus belle réussite opérationnelle de l’histoire des cypherpunks. Soit Bitcoin est né dans les bureaux feutrés d’une agence gouvernementale, comme une expérience ou une arme monétaire, et il a échappé à tout contrôle. Dans les deux cas, le résultat est identique. Bitcoin existe, fonctionne et défie les États. La vérité historique, elle, restera peut-être à jamais insaisissable.
Mais une chose est certaine. L’idée qu’un gouvernement ait pu être à l’origine de Bitcoin n’est pas totalement fantaisiste. L’histoire regorge de programmes secrets révélés des décennies plus tard. Le projet Manhattan, la mise en place d’Echelon, les expérimentations MK-Ultra. Chaque fois, des initiatives jugées improbables se sont avérées réelles, cachées sous le sceau du secret-défense pendant des décennies. Pourquoi Bitcoin ferait-il exception. Peut-être qu’un jour, en 2040 ou 2050, un document déclassifié viendra révéler que derrière le masque de Satoshi se cachait un programme de la NSA ou du DARPA. Peut-être que non. En attendant, le doute reste, et ce doute est en lui-même un carburant pour le mythe.
En fin de compte, peu importe que Bitcoin soit un projet gouvernemental ou le fruit d’un génie solitaire. Car dans les faits, Bitcoin est désormais une entité indépendante, comme une intelligence artificielle lâchée dans la nature. Il n’appartient à personne, il échappe à tout contrôle. Si un gouvernement l’a conçu, il a créé son propre fossoyeur monétaire. Si ce n’est pas le cas, il doit composer avec un ennemi qu’il n’a pas vu venir. Et c’est peut-être la plus belle ironie de toute cette histoire.
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