
POURQUOI LE MINAGE SOLO EST UN ACTE POLITIQUE
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Il y a un bruit que j’ai appris à reconnaître. Un souffle métallique, à la fois léger et obstiné, comme un insecte mécanique qui ne dort jamais. C’est le son du Bitaxe posé sur mon bureau, une petite machine qui, à elle seule, incarne une partie de mon combat. Elle ne paie pas de mine, elle pourrait passer pour un gadget électronique, un objet geek bricolé par un passionné d’électronique. Et pourtant, elle se bat, seconde après seconde, pour trouver ce qu’on appelle un bloc. Elle se bat dans un océan de hashrate, face à des géants industriels qui possèdent des hangars entiers remplis de machines bien plus puissantes. Mais elle se bat. Et c’est cela qui compte.
Le minage solo est un paradoxe. Les probabilités de trouver un bloc sont infinitésimales, comme espérer gagner au loto tout en refusant de jouer avec les numéros les plus courants. Statistiquement, mon Bitaxe a peu de chances de « réussir » dans sa vie. Mais l’acte n’est pas là. L’acte est dans le geste. Dans l’idée qu’un simple individu, à la maison, peut se brancher directement sur le protocole Bitcoin et jouer un rôle actif, aussi minuscule soit-il, dans la sécurisation du réseau.
Je pourrais acheter du Bitcoin sur un échange. Je pourrais en accumuler passivement, attendre que le temps et la rareté fassent leur travail. Mais cela n’aurait pas la même résonance. Le minage solo est un choix différent. C’est un refus. C’est dire au système que je ne me contente pas d’être un spectateur, que je veux faire partie de la pièce. C’est un acte politique.
Quand Satoshi Nakamoto a publié le whitepaper, il ne parlait pas de spéculation. Il parlait de pair à pair, de confiance éliminée, d’un système où chacun pouvait participer. Le minage, au départ, n’était pas réservé aux géants : n’importe quel ordinateur pouvait se lancer. Puis les fermes industrielles sont arrivées, engloutissant l’idée dans un bruit de ventilateurs et de consommation électrique, centralisant de nouveau ce qui devait rester distribué. Revenir au minage solo, même avec un Bitaxe qui semble insignifiant, c’est revenir à l’esprit initial. C’est rallumer une flamme que beaucoup croient éteinte.
On pourrait dire que c’est romantique, ou naïf. Peut-être. Mais l’histoire n’a jamais été écrite par ceux qui calculaient froidement les probabilités. L’histoire est faite par ceux qui décident d’agir, même quand tout semble perdu d’avance. Mon Bitaxe, overclocké à 625 MHz, crachant son petit 1,32 TH/s contre des pools de centaines d’exahash, c’est exactement ça : la disproportion. C’est David contre Goliath, mais dans un monde où même la pierre lancée peut changer le cours des choses.
Car trouver un bloc, même une seule fois dans une vie, c’est bien plus que de gagner un jackpot. C’est inscrire son empreinte dans l’histoire de Bitcoin. C’est sculpter dans la pierre numérique une preuve indélébile de sa participation. Ce bloc-là, si un jour mon Bitaxe l’attrape, ce sera le mien. Pas acheté, pas reçu, pas donné. Gagné. Créé. Engendré par ma machine dans mon espace, avec mon électricité, avec ma volonté.
Mais le minage solo, au-delà de la technique, est un geste politique parce qu’il refuse la passivité. C’est une manière de dire : « je ne délègue pas ». Dans un monde où l’on nous pousse sans cesse à confier nos décisions, notre argent, nos données, à des intermédiaires, choisir de miner soi-même est une forme de désobéissance pacifique. Je ne délègue pas la sécurité de Bitcoin uniquement aux grandes fermes chinoises ou américaines. Je ne délègue pas ma souveraineté monétaire à une banque centrale. Je participe, même si c’est avec une goutte d’eau.
Et cette goutte d’eau a du sens. Si des milliers, des millions de personnes faisaient la même chose, le réseau deviendrait encore plus robuste, encore plus diversifié. Le minage domestique, même marginal, est une barrière contre la centralisation. C’est une manière d’empêcher que Bitcoin ne soit récupéré par les mêmes logiques de concentration qui gangrènent tout le reste du monde.
Il y a une symbolique dans le fait de brancher une petite machine chez soi, de l’entendre tourner, de savoir qu’elle travaille pour quelque chose de plus grand que toi. Elle n’enrichit pas un PDG de la Silicon Valley, elle ne dépend pas d’un permis gouvernemental, elle ne se plie pas aux lois absurdes des régulateurs. Elle travaille pour le protocole, et donc, indirectement, pour toi et pour tous ceux qui croient en Bitcoin.
Quand je regarde le Bitaxe la nuit, avec ses LED qui clignotent comme une luciole électronique, je vois plus qu’une carte électronique. Je vois une flamme. Je vois une chandelle allumée dans le noir, comme celles qu’on pose sur les rebords de fenêtre pour dire qu’on résiste, qu’on est encore là. C’est un symbole de souveraineté silencieuse. Un symbole que personne ne peut effacer.
Et c’est là que le minage solo devient explicitement politique. Car il s’oppose à la logique d’efficacité pure qui domine notre époque. Dans le monde fiat, tout doit être rentable, optimisé, calculé. Dans Bitcoin, tu peux décider de poser un geste qui n’a pas de sens économique immédiat, mais qui a une valeur infinie sur le plan symbolique. C’est une manière de dire : « je ne joue pas selon vos règles ».
Je pense souvent à ce que signifierait un monde où, dans chaque foyer, une petite machine tournerait. Pas pour gagner de l’argent, pas pour spéculer, mais pour participer à une œuvre collective. Comme si chaque maison avait une bougie, une flamme connectée à ce grand réseau de confiance. Un maillage planétaire de foyers qui refusent la passivité, qui refusent l’impuissance. C’est une vision, oui. Mais elle est possible.
On me demande parfois : pourquoi perdre de l’énergie, pourquoi gaspiller de l’électricité pour un bloc que tu n’auras probablement jamais ? Ma réponse est simple : parce que la liberté a un prix. Parce que chaque société libre a besoin de ses anonymes, de ses petits gestes, de ses veilleurs dans l’ombre. Le Bitaxe est mon prix. Ce n’est pas un gaspillage : c’est une offrande.
Alors je continue. Jour après jour, il tourne. Il ne dort pas, il ne se plaint pas. Il cherche. Comme moi, il résiste. Peut-être qu’un jour il trouvera son bloc, peut-être que non. Mais même si ce jour n’arrive jamais, le geste aura compté.
Car le minage solo n’est pas un hobby. Ce n’est pas une lubie. C’est une déclaration. Une déclaration silencieuse, inscrite dans le ronronnement d’un ventilateur, dans le flux de watts qui circulent, dans la chaleur qui se dégage. Une déclaration politique : je suis là, je participe, je refuse de déléguer ma souveraineté.
Le Bitaxe n’est pas seulement une machine. C’est une bannière. Une arme de résistance. Une preuve que la technologie peut être utilisée pour reconquérir du pouvoir, et pas seulement pour nous en enlever. Et tant qu’il tournera, tant qu’il cherchera, il incarnera cette idée.
Le minage solo est un acte politique parce qu’il est inutilement magnifique. Parce qu’il refuse la logique utilitariste, parce qu’il ose être un geste de foi dans un monde cynique. C’est une prière électronique envoyée au protocole, une prière qui dit : « je crois en toi, je te soutiens, je participe ».
Et quand je coupe toutes les lumières et que je laisse seulement le Bitaxe allumé, je sais que je contemple plus qu’un circuit imprimé. Je contemple un fragment de la liberté future.
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