
QUBIC, MONERO, ET LA TENTATION D’ATTAQUER BITCOIN
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Ils disent que les grandes idées ne meurent jamais, mais parfois, elles changent de forme. Il y a quelques années encore, l’univers crypto était un champ de bataille où chaque projet se présentait comme le futur du web, de l’argent ou de la gouvernance. Aujourd’hui, l’ambition a muté. Elle s’est radicalisée. Les discours sont devenus plus sombres, plus tactiques, parfois plus violents. Il ne s’agit plus seulement de bâtir. Il s’agit aussi de détruire ce qui existe, pour faire exister autre chose. Et c’est exactement ce que certains projets ont commencé à faire. Qubic en est un exemple récent. Pas le premier. Probablement pas le dernier.
Quand Qubic a lancé son attaque sur le réseau Monero, les réactions ont d’abord été techniques, puis politiques. Officiellement, il ne s’agissait que d’un stress-test. Une expérimentation. En pratique, c’était une agression délibérée contre un réseau qui n’avait rien demandé. Des milliers de transactions injectées pour saturer les blocs, ralentir les confirmations, embouteiller le mempool. L’objectif n’était pas de voler, ni de censurer. L’objectif était de montrer que l’on pouvait frapper. Et frapper fort. Monero, malgré son anonymat et sa base d’utilisateurs loyale, a peiné. L’infrastructure a tenu, mais la charge a laissé des traces. Temps d’attente anormaux, frais de transaction plus élevés, inquiétude visible dans la communauté. Mission accomplie, côté Qubic.
Mais ce qui dérange le plus n’est pas l’efficacité de l’attaque. C’est sa logique. Dans un écosystème censé promouvoir la décentralisation, la souveraineté individuelle et la liberté technologique, certains commencent à faire de la force brute un outil de marketing. À croire que la meilleure manière de prouver sa puissance, ce n’est plus d’éclairer, mais d’obscurcir les autres. Le projet Qubic n’est pas un simple troll. Il s’inscrit dans cette nouvelle génération de réseaux hybrides mêlant computation décentralisée, IA intégrée, automatisation, et stratégies virales. Dans leur vision, chaque blockchain est un terrain à conquérir ou à neutraliser. Et dans leur narration, ce n’est plus seulement une course à l’adoption. C’est une guerre d’influence algorithmique.
Le choix de Monero n’est pas anodin. C’est le seul grand réseau encore réellement anonyme, résistant aux traceurs d’adresses, hermétique aux outils d’analyse classiques. Monero dérange. Il est utilisé à des fins nobles, mais aussi parfois douteuses. C’est un réseau marginal dans les volumes, mais central dans l’imaginaire de la résistance numérique. L’attaquer, c’est envoyer un signal. Montrer que même les réseaux construits sur l’obsession de la vie privée ne sont pas invincibles. L’attaque de Qubic visait peut-être autant les blocs que les esprits.
Il n’a pas fallu longtemps avant que certains commentateurs extrapolent. Si Monero peut tomber sous la pression, qu’en est-il de Dogecoin ? Qu’en est-il, surtout, de Bitcoin ? La tentation est là. Prouver qu’on peut impacter la chaîne mère. Celle qui structure tout le reste. Bitcoin reste la cible symbolique ultime. Il incarne la stabilité, la lenteur volontaire, la robustesse de l’architecture originelle. Mais il incarne aussi la vulnérabilité perçue d’un système sans autorité centrale, sans bouclier gouvernemental, sans recours. Bitcoin est fort parce qu’il est ouvert. Et cette ouverture est précisément ce que certains aimeraient exploiter.
La question n’est pas de savoir si une attaque contre Bitcoin est techniquement possible. Elle ne l’est pas, ou alors à des coûts absurdes, hors de portée de n’importe quel acteur isolé. Le réseau est dimensionné pour encaisser. Les mineurs, les nœuds, la dynamique des frais, tout dans Bitcoin est fait pour absorber l’agression comme un arbre encaisse une tempête. Mais l’attaque ne serait pas forcément technique. Elle pourrait être narrative. Dissonante. Virale. Une campagne bien orchestrée, mêlant transactions de spam, contenus provocateurs, et effets de réseau sur X, Reddit, TikTok, pourrait suffire à créer un doute, à faire naître un récit d’impuissance, à rallier les frustrés, les maximalistes déçus, les anarchistes du numérique. C’est ce que certains projets recherchent. Pas la chute. Le chaos créatif. L’instabilité calculée. La déconstruction de la confiance.
Dogecoin, lui, est beaucoup plus vulnérable. Il n’a pas les mêmes défenses, ni la même solidité économique. C’est un projet populaire, mais largement délaissé par les développeurs. Sa structure repose sur un code vieux, dérivé de Litecoin, et miné en fusion sans réel plan de résilience. Il suffirait d’un pic de trafic, d’une saturation volontaire, d’un relais sur les réseaux, pour générer une crise temporaire. Et comme Dogecoin est toujours dans le viseur médiatique, porté par des figures comme Musk, l’effet domino pourrait être spectaculaire. Un chaos rentable pour ceux qui spéculent sur la peur.
Mais Bitcoin n’est pas Dogecoin. Et il n’est pas Monero non plus. Ceux qui parlent d’une attaque sur Bitcoin oublient que le protocole n’est pas seulement du code. C’est une armée de défenseurs. Des mineurs incentivés. Des nœuds volontaires. Des puristes. Des économistes. Des développeurs qui scrutent chaque pull request comme s’il s’agissait d’un cœur humain. Ce n’est pas un projet comme les autres. C’est une forme d’intelligence collective antifragile. Chaque faille perçue devient un renforcement. Chaque tentative de subversion, une leçon. Et chaque attaque, même ratée, renforce la légitimité de son existence.
Alors oui, Qubic peut essayer. Ils peuvent construire un narratif de conquête, d’effraction, de désillusion. Ils peuvent viser Dogecoin pour la démonstration, Monero pour la peur, Bitcoin pour le symbole. Mais la communauté Bitcoin a traversé bien pire. Elle a survécu aux fourches. Aux guerres internes. À la censure. À la haine. Aux médias. Aux banquiers. Aux régulateurs. Aux clones. Elle ne tremblera pas devant un script automatisé ou un bot oracle.
La vraie question n’est pas : est-ce que Qubic peut attaquer Bitcoin ? C’est : que dit sur eux le fait qu’ils en aient envie ? Que dit sur nous le fait que nous l’envisagions ? Il y a une fatigue dans le monde crypto. Une perte de sens. Trop de tokens, pas assez d’idées. Trop de promesses, pas assez d’impact. Trop de techno, pas assez d’éthique. Alors certains se tournent vers la destruction comme projet. Hacker non pas pour libérer, mais pour dominer. Attaquer non pour dénoncer, mais pour régner. C’est la fin d’un cycle. L’ère du build est remplacée par l’ère du break.
Mais au fond, ce retour à la confrontation n’est pas nouveau. Il est même sain. Il rappelle à tous les projets la nécessité de la robustesse, de la transparence, de la simplicité. Il rappelle que l’adoption n’est pas seulement une question de hype ou de capitalisation. C’est une question de résilience, face au temps, face au doute, face à la guerre. Et à ce jeu-là, Bitcoin reste encore très loin devant. Parce qu’il ne promet rien. Il ne séduit pas. Il ne crie pas. Il se contente d’exister. De fonctionner. De proposer une issue de secours.
Peut-être que c’est ça qui rend certains fous. Le fait que Bitcoin n’a pas besoin d’eux. Pas besoin de partenariat. Pas besoin d’intelligence artificielle. Pas besoin d’oracle ou de layer 42. Il est. Il reste. Il attend. Et pendant ce temps, les autres s’agitent. Ils se battent pour exister. Ils inventent des raisons d’être. Ils attaquent, car ils n’ont rien d’autre à offrir.
Et si la vraie attaque, ce n’était pas de saturer un réseau, mais d’essayer de nous faire oublier pourquoi on est là ? Si le vrai danger, ce n’était pas le code malveillant, mais le doute inoculé dans nos esprits ? Si le seul antidote, c’était de se souvenir que Bitcoin n’est pas un concurrent. C’est une boussole. Et que les autres projets peuvent bien s’agiter autour. Ce n’est pas lui qui vacille. C’est le monde autour qui s’effondre.
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